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Interactions langagières
Dès son plus jeune âge, l'enfant apprend à parler et à penser en s'appuyant sur les éléments lexicaux et grammaticaux proposés par les adultes. Toutefois, les verbalisations de l'adulte n’auront d’effet pour l'apprentissage que si l'adulte offre à l'enfant un fonctionnement langagier qui convient à ce qu'il cherche à exprimer, au moment où il en a besoin - un fonctionnement langagier proche de ses capacités du moment mais les excédant légèrement.
L'enfant n’apprend donc pas par contact ou imprégnation, dans un « bain de langage » plus ou moins anarchique : au contraire, l’enfant apprend en captant précisément dans les énoncés des adultes des éléments et des fonctionnements syntaxiques qu'il essaie dans ses propres énoncés, pour en tester les effets et les réutiliser en situation le moment venu, en fonction de ses besoins et de ses désirs de verbalisation.
L’enfant n’apprend pas non plus en répétant des modèles de phrases ou de structures déjà entendus. Il fait un travail inconscient d’hypothèses sur le fonctionnement du langage des adultes.
De ce fait, l'apprentissage du langage ne peut être qu'individuel…
Les interactions entre l’adulte et l’enfant jouent donc un rôle essentiel dans la construction du langage chez l'enfant.
En effet, gérer des activités langagières chez de jeunes enfants mobilise deux types d'objectifs :
- Des objectifs de quantité
La prise de parole en grand groupe est fondamentale. Il faut permettre à tout le monde de pouvoir s'exprimer, et protéger les faibles parleurs des grands parleurs qui peuvent être envahissants.
Les appels à l’explicitation ou à la dénégation, quand l’enseignant fait semblant de ne pas comprendre, déclenchent souvent des flots de parole.
- Des objectifs de qualité
L'intervention de l'adulte est ici fondamentale. Le « feed-back », ou retour en arrière, reprend et reformule
l'émission langagière de l'enfant dans une syntaxe modélisante, acceptable à l'oral et d’un niveau de complexité légèrement supérieur à celui de l’énoncé produit par l’élève. Une relance contenant quelques mots
du type « Ah oui ? Ah bon ? Et alors…. Tu es sûr ? » ou la reprise des deux, trois derniers mots de l'enfant, sont plus productives qu'une grande quantité de questions fermées, qui appellent une réponse sous forme d'un simple mot.
Il est important que l’adulte cible plus la qualité du langage chez l’enfant que la quantité.
Les interactions inefficaces
Certaines façons d’interagir de l’adulte n’amènent pas l’enfant à une verbalisation maximale :
- la non reprise par l’adulte de premières occurrences de l’enfant ainsi que la non reformulation d’essais engendrent une stagnation du système linguistique de l’enfant
- certains ordres qui invitent plus à l’action qu’à une verbalisation explicite : « viens ici », « montre-moi comment tu fais (réponse : comme ça) »
- les questions ne nécessitent pas d’autre réponse que « oui » ou « non » ou, au mieux, entraînent la production de syntagmes isolés ;
- les phrases interrompues avec ton suspensif, ont pour conséquence que l’enfant n’entend pas de phrases complètes de la part de l’adulte et n’en énonce pas non plus ;
De la même façon, certaines situations de dialogues sont moins favorables que d’autres à la production de verbalisations maximales :
- lorsque l’enfant est absorbé par l’action (motricité ou jeu ou dessin…) il n’est pas toujours disponible pour verbaliser son expérience ;
- l’évocation du vécu de l’enfant non partagé par l’adulte, sur lequel l’adulte n’a pas d’informations, ne lui permet pas toujours d’aider l’enfant dans ses tâtonnements ;
- la description d’images représentant des objets et des personnages non impliqués dans des actions ne peut donner lieu qu’à des énumérations de syntagmes nominaux, ou au mieux à des « phrases » simples juxtaposées.
Quelle organisation de classe ?
Le grand groupe n'est pas le lieu idéal pour interagir avec l'élève.
L’enseignante envahit le temps de parole, les enfants s'expriment moins et il est impossible d'interagir avec chacun. On peut toutefois, par des tactiques d'animation efficaces, faire en sorte que tous les enfants s'expriment, même en grand groupe. De par ses relances, ses mots « théâtralisés », ses encouragements, ses questions ouvertes, ses reprises des derniers mots de l'enfant, ses appels à l'argumentation, l’enseignante a comme objectif principal de reprendre la parole de l'enfant, dans le but d'étoffer son discours.
En petit groupe, il est plus facile de cibler la qualité.
C’est un temps qui permet le langage inter individuel où l’on peut faire du sur-mesure et c’est un des volets essentiels de la garantie de progression des enfants. On donnera priorité à la syntaxe et le lexique se construira autour de cette maîtrise de plus en plus affirmée.
Les expériences montrent que cela ne suffit pas et qu’il faudra aussi travailler sur le lexique. Il est important de privilégier le petit groupe de langage deux fois par semaine en s’organisant en décloisonnement pour proposer des ateliers (avec l’aide des ATSEM, des enseignants de petite section pendant la sieste, du RASED…) et de travailler de façon ludique avec des groupes de 6 enfants en difficulté (¾ heure par semaine). Ce temps de langage enfant-adulte est également important lors de tous les temps d’accueil.
Pour exploiter ces situations, on peut :
- se doter d’un « tableau » répertoriant les constructions syntaxiques à repérer (éléments isolés, association de deux ou trois éléments, juxtaposition et coordination de « phrases » simples et « phrases » complexes comportant des complexités syntaxiques comme les complétives, les relatives, les circonstancielles..) ;
- se fixer des « règles » élémentaires : être le plus explicite possible à tout moment en ayant le moins possible recours aux gestes pour expliquer ; s’astreindre à toujours reformuler, en remettant les « morceaux » dits par l’enfant dans une phrase complète, en proposant des formulations un peu plus compliquées mais que l’enfant peut capter ; proposer plutôt des assertions que des questions ; habituer l’enfant à formuler des phrases complètes …
- établir des grilles d’évaluation simplifiée pour noter au fil du temps l’évolution (ou la stagnation) dans l’organisation syntaxique du discours de l’enfant ainsi que les reprises et reformulations de l’adulte pour vérifier si ce qu'apporte l'adulte est adapté. Il ne s’agit pas ici d’une évaluation ponctuelle, il ne s’agit pas de chercher à détecter des « manques » ou des « fautes », ou encore à comparer les enfants entre eux, par rapport à une norme déterminée ou en fonction de stades préalablement définis (comme dans les tests de langage). Il est entendu que ce repérage doit servir à une évaluation formative du langage de chaque enfant individuellement par rapport à lui- même, en rapport avec le langage qui lui est adressé, à différents moments de l’année scolaire.
Exemples d’interactions Adulte-Enfant (l’enseignant parle en gras italique)
Il est à noter que la structure caractéristique et internationale de la phrase chez l’enfant de deux ans est la syntaxe à deux mots composés de ConsonneVoyelle CV ou CV CV : Cassé (v)oitu(re)
2 ANS :
- Cassée voiture.
- Elle est cassée ta voiture. « Feed back » de l’enseignante qui vise la qualité. En effet, l’enseignante reformule en utilisant la même structure car il est important de ne pas être trop loin du langage de l’enfant pour lui permettre une meilleure imprégnation puis une meilleure appropriation de la structure correcte.
- Et pourquoi elle est cassée ? Relance qui a pour objectif d’entretenir la conversation et de viser ici la quantité.
Deux conditions importantes : le « feed back » visant la qualité et la relance visant la quantité.
3 ANS
- Moi, il a fait une voiture au carton. La quantité est respectée mais la qualité est à reprendre car l’enfant n’a pas la maîtrise du « je ».
- Moi, j’ai fait une voiture dans le carton. « Feed back » de l’enseignante avec reformulation
et réutilisation du moi déjà acquis par l’enfant.
- Bon tu as fait une voiture avec le carton.
C’est intéressant et après ? Relance de la conversation.
Sources:
- Conférences et ouvrages de Philippe Boisseau:
- Enseigner l’oral à l’école maternelle - Retz
- Pédagogie du langage pour les 4 ans - CRDP de Rouen
- Initiation à la pédagogie du Langage, tome 1 et 2 - CRDP de Rouen
- Pédagogie du langage pour les 3 ans - CRDP de Rouen
- Texte de Canut eMMAnuelle, Nancy Université et AsFoReL
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